Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/42

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parlé depuis vingt-quatre heures, ne l’eût pas plutôt aperçu qu’il s’écria : « Mon Seigneur Jésus-Christ ! Il m’a fallu vous voir dans cette maison pour me persuader que ce n’est pas l’enfer. » Paroles qui demeurèrent gravées dans mon cœur. Il mourut, et nous lui fîmes un très petit enterrement, parce que c’était un étranger ; mais nous restâmes saisis d’effroi.

Toute la ville sut ce triste événement, et Don Alonzo en fut instruit. Comme il n’avait point d’autre fils que mon maître, et qu’il ne pouvait plus douter des cruautés de Cabra, il commença à avoir plus d’égard aux plaintes des deux spectres ; car tel était le misérable état où nous étions déjà réduits. Il vint pour nous tirer de la pension, et quoiqu’il nous eût sous ses yeux, il nous demandait encore. Enfin, il nous trouva tels que, sans attendre davantage, il maltraita fort de paroles le licencié Vigile-jeûne, et nous fit transférer à sa maison dans des chaises à porteurs. Nous prîmes congé de nos camarades qui nous suivaient du désir et des yeux, avec le même regret et la même douleur que des captifs à Alger qui voient leurs compagnons rachetés et en liberté.