Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/80

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dans son office. À le voir faire, cela donnait envie de se laisser pendre. Il m’écrivit donc de Ségovie à Alcala une lettre conçue en ces termes :

« Mon fils Pablo (c’est ainsi qu’il m’appelait tant il avait d’amitié pour moi), les grandes occupations de la place que je tiens de Sa Majesté ne m’ont pas permis de t’écrire plus tôt, car s’il y a quelque chose de désagréable dans le service du roi, c’est le travail excessif, quoique je le trouve bien allégé par l’honneur d’être au nombre de ses domestiques. Il m’est bien douloureux d’avoir à t’annoncer des nouvelles peu agréables. Ton père est mort, il y a huit jours, avec plus de courage que qui que ce soit dans le monde. Je le dis en homme qui l’ai pendu. Il est monté sur l’âne sans mettre le pied dans l’étrier. La souquenille lui allait comme si elle eût été faite pour lui, et à sa mine, de même qu’aux croix qui allaient devant, il n’y avait personne qui ne le jugeât un digne pendu. Il avait un air très dégagé, regardant aux fenêtres et faisant des saluts à ceux qui quittaient leurs travaux pour venir le voir. Il se fit deux fois les moustaches. Il invitait les confesseurs à se reposer et louait ce qu’ils disaient de beau. Arrivé à la croix de bois, il mit le pied sur l’échelle et monta ni lentement ni à quatre pattes. Trouvant un échelon rompu, il se retourna vers la Justice et lui dit de le faire réparer pour un autre, parce que tout le monde n’aurait pas la même fermeté. Je ne puis exprimer jusqu’à quel point il parut courageux et résolu à tous les spectateurs. Il s’assit