Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/81

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au haut, jeta derrière lui les plis de son habit, prit la corde, se la passa au cou, la mit sur la noix, et, voyant que le Théatin voulait prêcher, il lui dit en le regardant : « Père, je vous tiens quitte de votre sermon ; récitez un peu le credo, et finissons vite. » Car il ne voulait pas paraître lent. Cela fut fait ainsi. Il me demanda que je misse son chaperon de côté, que je lui nettoyasse la bave ; ce que je fis. Il se laissa tomber sans croiser les jambes ni faire aucun geste, et il garda tant de gravité qu’on ne pouvait en exiger davantage. Après sa mort, j’ai coupé son corps en quatre quartiers et lui ai donné pour sépulture les grands chemins. Dieu sait la peine que j’ai de le voir là servir de pâture aux corbeaux, mais j’espère que les pâtissiers de ce pays nous consoleront, en l’enlevant pour le mettre dans des pâtés de quatre sous.

« Quant à ta mère (quoique j’ignore si elle est morte ou en vie), je pourrais presque t’en dire autant d’elle, car elle était dans les prisons de Tolède, pour avoir déterré les morts, sans être médisante. On publie que toutes les nuits elle baisait un bouc sur l’œil sans prunelle. On a trouvé chez elle plus de jambes, de bras et de têtes que dans une chapelle de miracles. Elle en faisait usage pour rétablir dans leur premier état les filles commodes qui voulaient encore passer pour pucelles. On dit que le jour de la Trinité, elle jouait un rôle dans un auto-da-fé, et qu’elle reçut le lendemain quatre cents coups de fouet, sous lesquels elle a bien pu expirer. Je suis fâché de cela, parce qu’elle nous déshonore tous, et