A défaut de preuve directes qui permettent de placer notre maître Cambraisien parmi les grands constructeurs du XIIIe siècle, il y a lieu de recourir à l’induction.
L’une des mentions de son voyage en Hongrie arrive à propos d’un dessin qu’il prit à Reims : « Lorsque je le fis, » écrit-il au-dessous, « j’étais mandé en la terre de Hongrie. » Pourquoi mandé ? Évidemment pour faire œuvre de son art. Sa réputation était donc déjà si bien établie qu’elle allait le recommander jusqu’aux confins de l’Europe ; et comme l’ouvrage pour lequel on fait faire quatre cents lieues à un homme ne saurait être de médiocre importance, on peut en conclure que Villard de Honnecourt n’allait à Bude ou à Strigonie que pour y élever quelque somptueuse église.
J’ai dit précédemment qu’un plan de l’ancienne cathédrale de Cambrai faisait partie des dessins de l’album. La légende qui accompagne ce plan est ainsi conçue : Vesci l’esligement del chavec Medame Sainte Marie de Cambrai, ensi com il ist de tierre. Avant en cest livre en troverés les montées dedens et dehors, et tote le manière des capeles et des plains pans autresi, et li manière des ars boteres. C’est à dire : « Voici la disposition du chevet de Notre-Dame de Cambrai, tel qu’il sort de terre. Plus loin en ce livre vous en trouverez les élévations intérieures et extérieures avec le dessin des chapelles, des murs latéraux et des arcs boutants. » Maintenant, si l’on cherche ces élévations, chapelles, clôtures annoncées par l’auteur, on ne les trouve pas dans le manuscrit, mais on trouve les parties analogues de la cathédrale de Reims, dessinées avec le plus grand soin, et expliquées par une autre légende où on dit, en parlant des chapelles, que celles de Cambrai seront toutes pareilles si on les mène à fin :d’autretel maniere doivent estre celes de Canbrai s’on lor fait droit. Donc au moment où Villard de Honnecourt écrivait cela, le chevet de la cathédrale de Cambrai, sorti de terre, mais non élevé, attendait qu’on le terminât ; donc le renvoi aux élévations du chevet de Cambrai n’a pu être qu’un renvoi aux élévation du chevet de Reims, modèle de l’autre.
Mais pour faire, dans son esprit, cette confusion de la cathédrale de Reims avec la cathédrale de Cambrai ; pour déclarer d’avance, et d’un ton décidé, la forme que devaient recevoir les parties inachevées de celles-ci ; enfin pour se livrer, à Reims, aux études les plus minutieuse sur ces parties même dont la copie était en voie d’exécution à Cambrai, ne faut-il pas que Villard de Honnecourt ait été l’architecte de l’église de Cambrai ? Cela me paraît d’une grande probabilité.
Les personnes qui ne connaissent ni l’esprit ni les pratiques du moyen