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jusqu’à la génération qui a précédé la nôtre. On disait croisée d’ogives, parce que ces sortes d’arcs sont disposés en croix[1]. Au milieu du siècle dernier des écrivains absolument étrangers au vocabulaire de l’architecture, saisirent cette expression au vol, sans avoir soin de se la faire expliquer, de sorte qu’ayant pris « croisée d’ogives » pour la dénomination technique de la fenêtre à cintre brisé, ils usèrent du mot ogive tout seul comme s’il était un déterminatif du cintre brisé, tant pour les fenêtres que pour les autres baies ; de là les portes et arcades en ogive, puis l’architecture en ogive ou ogivale. Jamais contresens plus malheureux ne s’est introduit dans une langue scientifique. Outre qu’il ferme l’intelligence à tous les textes anciens où se rencontre le mot ogive, il a l’inconvénient de caractériser une forme qui est précisément l’opposée de la forme propre à l’objet d’où le nom est venu. Ogive, selon le préjugé actuel, serait l’arc brisé, et la courbure normale de l’arc décrit par les ogives est le plein-cintre ; l’architecture à ogives serait exclusivement l’architecture gothique, et il se trouve que le tiers au moins des églises romanes ont leurs grandes voûtes construites sur croisées d’ogives.

Quoique l’erreur compte déjà un certain nombre d’années, on en peut, on en doit revenir. Les langues scientifiques ne comportent pas de si flagrantes absurdités. L’archéologie du moyen âge essaie depuis quarante ans de créer la sienne. Bien des termes qu’elle avait acceptés en commençant, ont été proscrits par elle du jour où elle a trouvé qu’ils étaient inexacts. J’ai déjà prêché et je prêcherai encore pour qu’ogive subisse le même sort ou plutôt pour qu’on rende à ce mot son acceptation primitive[2].



VI

DESSIN DE L’ORNEMENT


L’ornement est la partie dans laquelle excellèrent les artistes du XIIe siècle surtout depuis 1150. Villard de Honnecourt se montre tout à fait nourri de leur tradition, quoiqu’il commence à se produire dans son dessin quelque chose de la maigreur gothique. Les figures de pur ornement sont d’ailleurs en fort petit nombre dans son album.

  1. Augira, arcus decussates, dit Du Cange.
  2. Voir l’article intitulé de l'Ogive et de l’architecture dite ogivale dans la Revue archéologique. [ci-dessus, p. 74 à 85.]