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Page:Quincey - Confessions d'un mangeur d'opium, trad. Descreux, 1903.djvu/15

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IX
PRÉFACE DU TRADUCTEUR

disait à la mémoire : tais-toi ; à l’imagination : tu iras jusque-la et pas plus loin ; elle est immobile, muette, quand le spectacle est terminé, elle éprouve une sensation de regret ou de soulagement par laquelle elle exprime l’impossibilité absolue ou elle était de diriger, de prolonger ou d’interrompre le drame intérieur.

Cette idée qui ne s’est pas présentée à Th. de Quintcey, terrifiait Baudelaire. Lui qui a si bien analysé les fantaisies de l’opium et du haschich, apprécie et traduit l’alcoolique Edgar Poe, il n’a jamais recouru à ces excitants, et comme le dit Th. Gautier, l’idée de penser malgré lui. l’effrayait, au lieu le l’attirer. Qu’est-ce donc que penser malgré soi, sentir malgré soi, comme cela arrive sous l’influence tic certains agents, comme cela arrive aussi en dehors de leur influence ?

Un auteur ingénieux, mais par malheur un mauvais écrivain, De la Salle, compare la mémoire à une longue bande de parchemin qui s’enroule à la façon d’un volumen de Pompéi, à mesure que s’y inscrivent toutes les idées, toutes les sensations, sans qu’aucune échappe à cet enregistrement automatique. La mémoire est sous certains rapports une faculté indépendante, isolée, une sorte d’agenda que nous pouvons consulter, mais auquel nous ne pouvons rien ajouter, rien retrancher. À de certains moments, sous des influences violentes et soudaines, extérieures, morbides, le rouleau se déploie tout à coup dans toute sa longueur, et offre à nos regards toute notre vie passée, non pas en symboles plus ou moins abstraits, non en indifférentes notations