Aller au contenu

Page:Quincey - Confessions d'un mangeur d'opium, trad. Descreux, 1903.djvu/266

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
260
LES TORTURES DE L’OPIUM

Ces privations endurées soit dans les Galles, soit à Londres, portant sur l’organe la plus faible de mon système physique, c’est-à-dire sur l’estomac, eurent pour effet définitif l’état maladif et irritable de l’estomac qui m’amena à employer l’opium comme le seul remède assez puissant pour me soulager.

Voila qui fournit un lien satisfaisant entre les deux parties de mon récit.

L’opium n’aurait jamais été probablement élevé à la dignité d’auxiliaire quotidien et viager, s’il ne m’avait pas prouvé qu’il était l’unique agent capable de calmer les tortures que m’avaient laissées mes privations de jeunesse. Par là un nexus, tel que celui de la cause et de l’effet, est assez bien établi entre le premier récit et le second, entre les souvenirs de mon enfance et ceux de mon âge mûr. Il n’en faudrait pas davantage pour montrer l’unité de toutes ces confessions. Mais, bien que cela ne soit pas nécessaire, il se trouve qu’un autre bien différent rattache ensemble les deux récits distincts. Le seul phénomène par lequel s’exprime l’opium, le seul phénomène qui soit communicable, consiste dans les rêves et principalement dans la scène qui les entourait, sous l’influence des abus d’opium. Mais il est naturel que ces rêves et le décor dans lequel ils s’accomplissaient tirassent leur structure et leurs matériaux. — leurs masses d’ombre et de lumière, — de ces profondes révélations qui avaient été si fortement gravées dans mon cœur, de ces traits creusés à l’eau-forte que les immenses foyers de la vie de Londres avaient sculptés en souvenirs éternels sous la dure influence de la détresse. Aussi il est certain que les anciennes épreuves de mes fautes enfantines eurent pour résultat non seulement de me conduire indirectement à l’opium, mais encore de gouverner les phénomènes principaux de ces expériences définitives. Tel est donc le résumé le plus sommaire de l’ensemble de la situation : l’objet final de tout ce récit aboutit aux rêves. C’est en vue de ceux-ci que se dirige toute la narration.