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Page:Quincey - Confessions d'un mangeur d'opium, trad. Descreux, 1903.djvu/267

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LES TORTURES DE L’OPIUM

Mais quelle était la cause des rêves ? C’était l’opium employé avec un excès sans exemple. Quelle était la cause de ces abus dans l’emploi de l’opium ? C’étaient ces souffrances d’autrefois : celles-ci, seules, avaient causé les dérangements qu’elles avaient laissé derrière elles dans l’économie organique. En exposant la situation de cette manière et partant de la fin pour remonter au commencement, je fais voir qu’il y a un lien ininterrompu et unique entre toute cette série d’expériences ; en premier, en dernier lieu, les rêves étaient l’héritage laissé par l’opium, l’opium était l’héritage laissé par mes folies d’enfant.

Vous trouverez peut-être que je suis trop confidentiel et trop communicatif au sujet de ce qui me concerne personnellement. Cela est possible. Mais ma façon d’écrire consiste surtout à penser tout haut, à suivre mes dispositions, plutôt qu’à me demander qu’il est mon auditeur. Pour peu que je m’arrête à me demander ce qu’il est convenable de dire, je me demanderai s’il est convenable de dire quoi que ce soit. En réalité, je me figure que j’écris à une distance de vingt, trente, cinquante ans du moment présent, soit pour être agréable à ceux qui ont bien voulu conserver de l’intérêt pour moi, soit en vue des personnes (en grand nombre, et en nombre qui croit sûrement tous les jours), qui prennent un plaisir inextinguible aux mystérieux effets de l’opium. Car l’opium est mystérieux, mystérieux au point parfois d’être en contradiction avec lui-même, — si mystérieux qu’après en avoir usé si longtemps, et souvent même abusé, je continue à me tromper dans les conclusions de plus en plus éloignées que je suppose à un certain moment conformes à la vérité. Voici cinquante-deux ans que j’emploie l’opium comme une ressource magique contre toutes les sortes de souffrance physique, je puis le dire, sans autre interruption que quelques périodes de quatre ou six mois mais, pendant lesquels par des efforts extraordinaires de volonté, je suis parvenu à