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D’UN MANGEUR D’OPIUM

forte raison dans les cas nombreux et analogues au mien, où l’opium exerce sur l’économie des ravages bien moins graves qu’une quantité équivalente d’alcool. Coleridge se trompait donc deux fois, quand il se donnait la liberté de diriger les attaques les moins amicales contre le prétendu raffinement de volupté qui me faisait employer l’opium ; il se trompait en principe, il se trompait en fait. Une lettre de lui qui a été publiée sans son aveu, je l’espère du moins, mais qui n’en a pas moins paru, attire l’attention de son correspondant sur la différence profonde qu’il y aurait eu entre la situation comme mangeur d’opium et la mienne : il semble qu’il soit tombé dans cette habitude par des causes excusables, c’est-à-dire par nécessité, l’opium étant la seule ressource médicale qui fût efficace comte sa maladie à lui. Et moi, scélérat que je suis, j’ai, comme chacun sait, reçu des fées un charme contre la douleur ; si j’ai adopté l’opium, c’est par un penchant abominable pour la recherche aventureuse de la volupté, et j’ai pêché le plaisir dans toute sorte de ruisseaux. Coleridge se trompe dans toute l’étendue possible du mot, il se trompe dans son fait, il se trompe dans sa théorie ; un petit fait, une grosse théorie. Ce dont il m’accuse, je ne l’ai pas fait, et quand cela serait, il ne s’ensuivrait pas que je suis un citoyen de Sybaris ou de Daphné. Jamais distinction ne fut plus mal fondée, plus fantastique que celle qu’il lui a plu d’établir entre ses mobiles et les miens, et il n’est pas possible que Coleridge ait été induit dans son erreur par de faux renseignements, car personne sans doute n’a prétendu en savoir plus long que moi sur une question qui était du domaine de mon expérience particulière. Mais s’il existe une telle personne, elle trouvera peut-être quelque intérêt à refaire ces confessions d’un bout à l’autre, à corriger leurs innombrables fautes, et comme les fragments qui n’y ont pas été publiés ont été en partie détruits, elle aura bonté de les rétablir : elle pourra encore rendre de l’éclat aux couleurs fanées, retrouver l’inspiration qui