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SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES


J’en étais justement à ce point de mon développement, et je venais de traverser cette révolution que j’ai décrite, lorsque, comme je l’ai dit, je fis un séjour dans la famille de Lord C. Lady C. était une belle femme, encore jeune, qui agit puissamment sur moi, grâce aux sentiments tout frais éclos que j’ai décrits, et elle aurait agi bien plus, dans ce sens, si elle ne m’avait été connue depuis mon enfance. Une jeune pairesse, qui était en visite à la même époque dans cette famille, concourut à la même œuvre que Lady C. en stimulant mon ambition sur toutes les routes où l’on est suivi par la sympathie des femmes. Lady C. était désireuse de me voir devenir une sorte d’Alcibiade ou d’Aristippe, aux facultés ambidextres, et également capable de briller dans les petites choses et dans les grandes. En conséquence, pendant que je lui apprenais assez de grec pour lire la Bible en grec, elle prenait ses mesures pour m’enseigner les talents que possédaient les hommes de son entourage. En particulier, elle désirait vivement que je devinsse un bon tireur, et pour y parvenir, elle me confia aux soins d’un des garde-chasses de son mari. Je me fis un devoir, pendant bien des semaines, d’accompagner le zélé garde-chasse, dans les bois de L—xt—n, et je fis de mon mieux pour m’instruire. Mais mes progrès furent des plus lents, et je finis par ouvrir les yeux à ce fait évident, que ma destinée ne me portait pas dans la direction où l’on conquiert les sympathies ordinaires de ce monde ou de la femme, fût-elle même une femme accomplie, mais agissant sous l’impulsion des idées courantes.

Pour me montrer sensible à la bonté de Lady C., je persévérai dans tous les exercices et tous les