Page:Quincey - Souvenirs autobiographiques du mangeur d’opium, trad. Savine, 1903.djvu/202

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
179
DU MANGEUR D’OPIUM

travaux qu’elle avait prescrits, pendant tout mon séjour à L—xt—n. Mais je sentais, à part moi, que ma sphère n’était pas tout à fait celle qu’elle proposait à mon ambition, et que les récompenses qui scintillaient devant mes yeux n’étaient pas exactement de celles que toute femme pût comprendre. Même alors, dans les profondeurs de ces forêts du Northumberland, et au cours de ces chevauchées, je m’écriais intérieurement, que s’il dépendait de moi d’opérer une grande révolution en l’homme, ou de mettre en œuvre quelque puissant moyen d’action sur la condition humaine, un moyen d’action égal, par exemple, à celui qu’employa Mahomet, j’attacherais quelque valeur à la réputation. Mais sans cela, en ce qui concernait les menues et banales frivolités des honneurs littéraires ou sociaux, les seuls qui fussent à ma portée, soit faute de posséder des facultés suffisantes, soit faute d’occasions, alors je préférerais traverser la vie en silence, en parcourant des sentiers tranquilles, et sans réveiller le bavardage des échos par le bruit de mes pas. L’ambition vulgaire était déjà morte en moi. Vivant ainsi que je le faisais, avec deux jeunes dames de haut rang, toutes deux de belles jeunes femme dans toute l’acception du mot, et dont l’une était célèbre par sa beauté, et qui avaient vu à leurs pieds les premiers personnages du jour, j’étais rempli de la plus vive reconnaissance envers des femmes aussi distinguées, pour l’intérêt qu’elles voulaient bien prendre à ma fortune future, et je regrettais qu’il en fût ainsi. Cependant je dissimulai, et je ne perdis rien de leur considération.

En attendant, je m’étudiai à mettre le plus à profit possible un grand avantage que me procu-