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SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES

marches, et un instant après, introduit par un domestique, parut tout botté, tout équipé, mon compagnon de voyage, autant que je puis nommer ainsi ce jeune dandin à l’air arrogant, qui venait tout juste d’arborer la toga virilis à côté d’un modeste enfant, doué d’une sensibilité profonde, mais réservé au point de dépasser même la réserve anglaise. La vieille domestique, avec une politesse embarrassée lui présenta les compliments de ma mère, en lui demandant de vouloir bien déjeuner, ce qu’il refusa avec hâte et d’une manière un peu péremptoire. Il consentit néanmoins à jeter sur moi un coup d’œil protecteur, en demandant d’un ton léger si j’étais le jeune gentleman qui devait partager sa chaise de poste. Mais au lieu d’attendre une réponse, il se mit à frapper avec impatience une de ses bottes de sa cravache, en disant qu’il supposait que j’étais prêt : « Non, pas avant qu’il ne soit monté voir madame, » dit ma vieille protectrice avec quelque rudesse.

Je montai donc. Quels conseils, quels avis reçus-je dans le boudoir maternel, naturellement je les ai oubliés. L’événement le plus remarquable pour moi, qui jusqu’alors n’avais jamais eu entre les mains le moindre argent, pas même la plus infime pièce de monnaie, ce fut de recevoir dans une bourse en filet, cinq belles guinées, avec la recommandation d’en remettre tout de suite trois à M. H—ll, et de me tenir prêt à lui donner les deux autres dès qu’il me les demanderait.

Quant aux autres conseils de ma mère, ils purent être sages, mais ils ne furent pas longs ; elle avait toujours en une sorte de fierté romaine, et je crois qu’elle répandit sur mes joues plus de