Page:Quincey - Souvenirs autobiographiques du mangeur d’opium, trad. Savine, 1903.djvu/221

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paru de la circulation, un voyageur ne portait jamais sur lui aucune autre espèce de monnaie, et c’était là une magnifique prime à l’encouragement des voleurs de grand chemin, prime qui disparut presque entièrement sous l’influence de l’acte que fit passer M. Pitt en 1795, pour restreindre les paiements en numéraire. La propriété, qui pouvait être reconnue et suivie à la piste, constituait un butin dangereux, et depuis cette époque le libre commerce de la grande route disparut des professions régulières. En ce temps-là, il traînait déjà une vie languissante. Il pouvait bien avoir par ci par là quelques séries heureuses, mais ces alternatives locales de haut et de bas se déplaçaient sans cesse. Peut-être, après tout, la profession était-elle un monopole réparti entre un petit nombre de bandes. Néanmoins, les hôteliers montraient, universellement, une sagacité, un flair étonnant, à mesurer, selon la physionomie extérieure du questionneur, le degré de crédit qu’ils accordaient aux bruits exagérés sur la mauvaise réputation des routes. Quelques mois après, comme je revenais par le même chemin, avec une parente craintive, qui s’informait sans dissimuler une inquiétude pénible à voir, les mêmes personnes, de la première à la dernière, lui assurèrent que le danger existait à peine.

Mais la première fois il n’en fut pas ainsi. On présuma à bon droit qu’un cavalier, hautain de manières, en qui l’ardeur du vin doublait celle de la jeunesse, accueillerait avec mépris une description bénigne et pacifique de la route qui lui restait. Monsieur de L’Aigle planant répondit de l’air d’un homme qui ne laisse voir qu’une partie de sa crainte. Il jeta un regard soupçonneux sur les figu-