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DU MANGEUR D’OPIUM

personnelle, et que, par conséquent, elle témoignât d’un manque d’éducation, était au fond inspirée par un sentiment bienveillant. Voici de quoi il s’agit. Je négligeais habituellement ma tenue en ceci, que je portais mes habits jusqu’à ce qu’ils fussent absolument râpés. D’un côté, je croyais que ma robe en dissimulerait l’état, et d’autre part, je mettais toujours une extrême insouciance et un mauvais vouloir à donner au tailleur le peu d’argent que je réservais au libraire. À la fin un personnage officiel, qui jouissait de quoique activité dans le collège, m’envoya par un ami un avis à ce sujet. Cet avis était ainsi conçu : « Quelques qualités qu’un homme possède, quels que soient ses talents, il ne lui est pas possible de conserver une situation respectée devant le public, parmi tant de gens et de domestiques, astreints à ne juger que sur les apparences, sans se montrer soigneux de l’élégance et de la tenue. »

Je ne pouvais pas m’offenser d’un blâme aussi courtoisement formulé, et alors je résolus de faire quelques frais pour embellir ma personne. Mais il arrivait toujours qu’un livre, ou une série de livres, — passion aussi vaste, aussi inexorable que la tombe — se mettait entre moi et mes intentions, si bien qu’un jour, arrangeant à la hâte ma toilette avant le dîner, je découvris tout à coup que je n’avais pas de gilet (pas de veste, comme on disait alors par mode, ou en employant un mot provincial) qui ne fût déchiré ou détérioré de quelque autre façon. Donc boutonnant mon habit jusqu’au menton, et serrant ma robe de mon mieux autour de moi, je me rendis sans trop d’embarras dans le hall (on nommait aussi à Oxford la salle à manger commune). Je fus néanmoins décou-