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SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES

rais éprouvé quelque difficulté à éviter un acte aussi monstrueux qu’un bâillement. La salle de bal, qui avait été improvisée pour l’occasion, en forme de pavillon, avait un air d’élégance et de fête ; la partie qui y était réservée aux danseurs était entourée d’un treillage doré, et le haut était décoré de guirlandes de fleurs avec beaucoup de goût. Les toilettes des dames étaient, comme c’est l’usage en ces occasions, d’une richesse remarquable. De toutes les scènes que présente le monde, il n’en est pas qui soit en elle-même plus intéressante pour moi ; il n’en est pas, je le répète à dessein, qui m’émeuve plus que le spectacle d’hommes et de femmes flottant à travers le brouillard de la danse ; à la condition, cependant, que la musique soit belle et joyeuse, que les danseurs sachent parfaitement danser, et que la danse soit de nature à permettre un mouvement libre, aisé, continu. Mais on chercherait vainement cette condition dans les assommants quadrilles qui ont depuis bien des années fait oublier la contre-danse, si vraiment belle, qui est fille de l’Angleterre. Ceux qui ont le goût et la sensibilité assez défectueux pour substituer au beau dans la danse la simple difficulté, pouvaient être assurés qu’à la fin ils feraient passer cet art dégénéré de l’Opéra dans les salons des particuliers. L’on était disposé à encourager ce passage, mais jusqu’alors on n’avait pas encore atteint pleinement le but, et la contre-danse anglaise était encore appréciée à la cour des princes. Or de toutes les danses, elle est la seule qui appartienne à la danse de celles que l’on peut qualifier de danse, à mouvement continu, c’est-à-dire, danses où il n’y a pas d’interruption, pas d’arrêt brusque, mais qui déploie ses