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DU MANGEUR D’OPIUM

charmants détours avec la régularité de la lumière qui se répand dans un espace libre. Et chaque fois que la musique n’a pas un caractère léger, trivial, mais qu’elle est toute pénétrée d’un plaisir de fête, et que les danseurs sont assez habiles pour éviter toute gaucherie qui provoquerait le rire, je crois que bien des gens sentiraient ce que je sens en pareille circonstance, c’est-à-dire qu’ils trouveraient dans ce spectacle une des plus nobles formes de mélancolie passionnée que puisse faire éprouver aucun spectacle. Mélancolie n’est pas le terme propre, et il n’existe de terme propre en nulle langue (parce que même les langues les plus belles n’en ont pas) pour exprimer exactement cet état, car celui auquel je fais allusion excite et élève l’âme, au lieu de l’affaiblir. Et sans aucun doute, les gens qui ont l’esprit le plus lourd sont en état de comprendre que bien des sensations de plaisir, et en particulier les plus élevées sont aussi loin que possible de ce qui ressemble à de la gaîté, à du risible. Le jour où un Romain triomphait était le plus joyeux de son existence, c’était celui où son bonheur atteignait le couronnement, le point culminant, et assurément ce jour-là était aussi le plus solennel de sa vie.

La musique de fête, quand elle a un caractère de richesse et de passion, est aussi opposée que possible à l’hilarité vulgaire. Il y a de la mélancolie dans son contentement, dans sa pompe, mais c’est une mélancolie qui vise à la grandeur, à l’élévation. Par exemple, (puisqu’on risque beaucoup de ne pas se faire comprendre si l’on ne recourt pas à des traits individuels) pour toute personne douée de sensibilité musicale, qui écoutera