Page:Quinet - Œuvres complètes, Tome VII, 1857.djvu/238

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Chaque état se taisait. Après le laboureur
Le sillon en automne attendait le semeur.
Au temps de la moisson, le roi de l’épouvante
Seul emportait des champs sa gerbe pâlissante.
Comme un héros blessé, le Danube sanglant
Allait laver ses flots aux mers de l’Orient.
Pendant qu’il murmurait sous sa plaintive armure,
Un cheval à son maître, en léchant sa blessure,
Disait : " Levez-vous donc, duc De Montebello !
Le flot en murmurant fait murmurer l’écho.
Votre duché féal est où le clairon sonne ;
Sous son porche venez cueillir votre couronne.
—mon duché n’a ni tour, ni porche, ni blason :
Il est là tout entier sous cet étroit gazon.
Ma couronne à mon front déjà se décolore.
Voici les loups rôdeurs ! Hennis, hennis encore.
Ah ! L’empereur qui passe en un ruisseau de sang
A dès l’aube entendu ce cheval hennissant.
—Duc De Montebello, dormez-vous quand tout veille ?
Les morts combattront-ils quand le vivant sommeille ?
—Sire, venez, voyez et touchez mon brancard.
Vous pouvez, s’il vous plaît, me guérir d’un regard.
—Ah ! Lannes, qu’as-tu fait ? Trop grande est ta blessure,
Et trop de noirs corbeaux attendent leur pâture.
Non, les morts sont trop las pour suivre mon chemin ;
Et leurs jours sans soleil n’ont point de lendemain.
Va m’attendre là-haut dans la nue éclatante ;
Et sous des cieux d’airain prépare-moi ma tente.