Page:Quinet - Œuvres complètes, Tome VII, 1857.djvu/327

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Aussi quand tout fut prêt, et sa gloire assez haute ;
Comme la maison vide en attendant son hôte,
La tour ouvrit un jour sa porte sur le seuil.
Et le mort, ce jour-là, debout, dans son orgueil,
Ayant quitté la tombe et repris sa dépouille,
Sur ses gonds ébranla tout un siècle de rouille.
Son cœur ne battait pas ; il n’avait rien d’humain.
De bronze était son front, son âme était d’airain.
Sans joie et sans douleur, sans un signe de tête,
Il monta les degrés qui mènent sur le faîte.
De la tour sous ses pas les fondements tremblaient,
Et les hommes de fer devant lui chancelaient.
Debout, les bras croisés, sur ce trône sublime,
Ainsi que son domaine il mesura l’abîme,
Les jours qui ne sont plus, ceux qui seront demain,
L’univers égaré dans son vide chemin.
Or, la grande cité, que son ombre environne,
À ses pieds s’endormait ainsi qu’une lionne.
À ses pieds cependant passaient sans revenir
Le jour et puis le soir, et puis son souvenir ;
Après le soir la nuit, puis après, ses fantômes,
Majestés d’un moment, peuples, états, royaumes,
Familles sans parents, empires, nations,
Comme les grandes eaux, les générations.
Les siècles surannés, après leur courte automne,
Se dépouillaient l’un l’autre autour de sa colonne :
Les uns cherchaient encor son phare à l’orient,
Pour apprendre de lui le chemin du néant ;
Les autres, comme un flot qui n’a plus de rivage,
Lui jetaient en courant le nom de son naufrage.