Page:Quinet - Œuvres complètes, Tome VIII, 1858.djvu/249

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ombre, qu’une pensée pour engloutir ma pensée dans un néant entrecoupé de parfums et de soupirs ?



Rachel.

Mon dieu, les oreilles me tintent ; la tête me fait mal ; tout tourne autour de moi... il me semble, pendant que tu me parles, que mon crucifix pleure à mon cou. Regarde donc ; est-ce du sang ?



Ahasvérus.

Non pas, non pas.



Rachel.

Si, c’est du sang ! Je le vois.



Ahasvérus.

C’est une larme tombée de tes yeux. Laisse-moi l’essuyer.



Rachel.

Miséricorde ! Plus tu l’essuies, plus la tache paraît !



Ahasvérus.

Va ! Mes baisers l’effaceront bien.



Rachel.

Tes baisers sont amers plus que de l’absinthe.

Ah ! Anges du ciel, la tache grandit sous tes lèvres. Laisse-moi.



Ahasvérus.

Mon haleine la boira.



Rachel.

Non. Ton haleine est une flamme qui la ternit encore. Seigneur du ciel, ayez pitié de moi !



Ahasvérus.

Christ ! Christ ! Je te reconnais là. Oui, c’est toi ; que me veux-tu ? Jusque sur le cœur qui bat pour moi, tu me poursuis. Tu me défies, n’est-ce pas ? Tu te ris de moi-même à ma barbe ; tu me terrasses ; tu m’écrases ; tu t’amuses, beau maître, de ce long rêve, que tu appelles ma vie ; toi, un rêve s’il en fut, un songe devenu dieu pour