Page:Quinet - Œuvres complètes, Tome VIII, 1858.djvu/248

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yeux, dans un soupir de tes lèvres, dans un mot à moitié achevé, dans la trace de tes pieds que la bise a effacée, voilà toute l’immortalité.

Sentir autre chose que toi, te désirer, t’attendre, ne pas te voir venir, à présent et toujours ne pas rêver de toi, ne pas penser à toi, ne pas vivre de toi, c’est là l’horrible enfer plein de vipères brûlantes. Le paradis, c’est toi, c’est le chemin où tu as marché, c’est la fleur que tu as touchée, c’est la rougeur qui passe sur tes joues, c’est ici, où tu es.



Rachel.

Certainement, je suis heureuse avec toi, quand je t’écoute ; mais le paradis doit être quelque chose de plus parfait. Là, je te comprendrai en toutes choses : ici il arrive bien souvent que je ne pense pas comme toi : cela me trouble, et la tête me tourne.



Ahasvérus.

Ne t’arrête pas aux mots, vois toujours au fond mon cœur qui te parle.



Rachel.

Je n’ai peur que d’une chose ; c’est que tu ne m’aimes pas assez à cause de mon âme.



Ahasvérus.

Ton âme, Rachel, n’est-ce pas toi dans tout ce que tu es ? Malheur au jour où je pourrai dire : ceci est elle, et ceci est sa cendre ! Crois-tu qu’il n’y a pas un esprit invisible dans tes cheveux, qui les fait luire au soleil ? Crois-tu qu’il n’y en a pas un qui baisse lui-même ta paupière, et qui, à présent, arrête tes larmes dans tes cils ? Crois-tu que ce ne soit pas un souffle divin qui fait trembler tes lèvres et qui courbe ta tête sous un fardeau d’amour ? Toi-même, qui sait si tu es autre chose qu’un esprit dont mon esprit a soif, qu’une ombre pour rafraîchir une