Page:Quinet - Œuvres complètes, Tome VIII, 1858.djvu/286

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

sangliers qui labourent mon champ diront de loin : allons-nous en, c’est notre maître qui vient.



Au loin, auprès, la terre est nue, usée comme un manteau de mendiante, sans sel ni rosée ; et à l’heure où le soleil emporte dans le bois des Dombes, sur son épaule, sa gerbe d’épis blonds, la fièvre en été y est froide autant que dans la Maremme. Sous un cerisier fleuri tu trouveras mon toit qui a abrité maintes douleurs.

Sur le perron ma mère lit la bible de Luther ; ma sœur, que j’aime, est allée cueillir, pour son enfant, des mûres sauvages dans les buissons.

Ma maison est petite, mon chevet est dur et souvent trempé de larmes. Il y a place à ma table pour un voyageur égaré et pour un rouge-gorge que le givre a empêché à noël de glaner dans sa clairière.



Le Chœur.

Que fais-tu là ?



Le Poète.

Partout mon cœur dans mon sein m’a aiguillonné comme mon éperon mon cheval. Partout j’ai dévoré dans mon sentier la rosée que j’ai trouvée. J’ai bu mes larmes plus que du vin dans ma vallée de Bourgogne. J’ai mangé miette à miette le pain de mes regrets plus que mon seigle dans mon sillon de Bresse. à cette heure, je venais un moment puiser une goutte d’eau dans mon puits d’héritage pour laver la sueur de mon âme.

Ici, ma vie est une tour que je bâtis dans le mystère. J’ai monté jusqu’à moitié les degrés de mes jours. Je ne vois rien paraître que l’ombre de ma ruine qui s’allonge dans mes ronces, que des écorces rejetées de ma nappe, que des années entassées qui ne peuvent me suivre, que ma source qui n’a plus d’eau pour pétrir le limon du lendemain.