Page:Quinet - Œuvres complètes, Tome VIII, 1858.djvu/288

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sur mes lèvres, ou qu’elle restât glacée, le soir, avec mon haleine sur les vitres de ma fenêtre. Car il est une heure que je hais ; et toujours, hiver, été, ma pensée est debout sur mon chevet pour broyer en secret cette heure de poison, et la mêler à tous mes jours dans le creuset de mes années.



Le Chœur.

Si tu le peux sans pleurer, car tes larmes, en tombant sur terre, deviendraient de la boue, dis-moi donc, il le faut, quelle heure ce fut que celle qui fit ton mal, et comment cela est arrivé.



Le Poète.

J’aurais voulu le cacher toujours ; et, si la force ne m’eût manqué une fois, personne n’en eût rien su de ma bouche. à toi, pourtant, je le dirai, quoique ce souvenir me pèse, et que chaque matin il me réveille trop tôt sur mon chevet. Il est un mot que jamais ma bouche ne veut prononcer, que jamais ma main ne veut écrire dans mon livre ; c’est celui que toutes choses prononcent en soupirant, que les reines envient sous leurs dais, que deux âmes balbutient en se voyant, que les femmes savent dire, que les étoiles palpitantes écrivent dans leurs veillées d’été, avec leur encre d’or, et qui a brisé mon cœur dès le matin du jour de mai où je l’ai lu.

Ce jour-là, sur le chemin, celle dont ma bouche est trop rude pour prononcer le nom de miel m’a dit : va ! Prends cette fleur de mai ; avant qu’elle soit fanée, nous nous reverrons demain.

Mais la fleur s’est fanée, le lendemain a passé, et le jour d’après aussi ; et après le jour la nuit encore : et nos yeux ne nous ont plus nulle part revus, ni au loin, ni auprès, ni dans la plaine