Rome.
Aimez-vous mieux ma crosse et ma mitre de
vieillard, et la coupole bénie dont ils ont
chargé ma tête ? Aimez-vous mieux mes cent
cloches qui bourdonnent, ma chasuble de marbre
que le monde m’a faite de tout l’or de la terre,
et les débris de mon passé qui ornent mon
manteau, comme un pèlerin de Latran emporte
sur ses épaules les coquilles de son naufrage ?
Ne vaut-il pas mieux, pour rentrer dans la
foule et n’être pas reconnue, garder dans ma
main ma faucille de moissonneuse que je
rapporte aujourd’hui, chaque été, de mes
montagnes des Abruzzes ? à présent, mes pieds
sont nus. Voyez-les ! Mes yeux sont noirs, ma
robe est de lin blanc. J’ai dans mes cheveux
deux aiguilles d’acier ; j’apporte dans mon
panier, au voyageur qui passe, des figues de
Velletri, des fraises de l’Ombrie. Si je
tiens à ma main mon panier et ma faucille,
l’Eternel lui-même ne connaîtra plus Rome.
Au lieu de mon passé, de mes cent empereurs,
de mes peuples roulés dans mon chemin, de mes
gigantesques années, il ne mettra dans sa
balance que les jours d’une fille hâlée de
Pérouge ou de Terni, ses épis moissonnés,
son chapelet béni, ses chansons de printemps,
et sa madone suspendue à son collier de verre.
L’Ange.
Partout il te reconnaîtra à la tache de sang que
tu n’as pu laver dans l’aiguière d’or de Pilate.
Rome.
Si, pour me sauver, je montais dans mon tombeau
qui est ma forteresse, et si je mettais mon
verrou, vous ne me verriez plus.
L’Ange.
L’Eternel a une échelle qu’il appuierait sur ta
muraille :