Oh ! Ahasvérus ! Ne me rends pas jalouse de Marie.
Pour un sourire de toi, je me perdrais encore
mille fois.
Ahasvérus.
Je ne t’en aurais jamais parlé le premier ; mais,
dans toutes mes joies, il y a une peine au fond ;
et cette peine est si amère, si amère, que tes
baisers jamais ne m’en ont ôté le goût : j’ai
cru que cela passerait, et cela ne fait que
s’accroître !
Rachel.
Tes désirs sont trop immenses ; c’est ma faute de
ne les avoir pas su remplir.
Ahasvérus.
Non, ce n’est pas ta faute. Pour me faire illusion,
j’ai voulu t’adorer dans toutes choses. Si
j’entendais le ruisseau passer, je me disais :
c’est son soupir ; si je voyais l’abîme sans
fond, je pensais : c’est son cœur. De la
vapeur des îles, et des nues, et de l’étoile,
et du souffle haletant du soir, je me faisais
une Rachel éternelle qui était toi, et toi
encore, et toujours toi, et toi partout, toi
mille fois répétée. Pardonne-moi : je te dis
la vérité ; c’est là mon désespoir. Tout ce
monde a passé ; il s’est séché sur mon cœur.
Rachel.
Je ne peux donc plus rien pour toi ? Oui ! Le
voilà, l’enfer ! Moi qui voulais être tout ton
ciel et tout ton paradis !
Ahasvérus.
écoute-moi ! Si, seulement une heure, je savais
ce que c’est que d’être aimé du ciel, je serais
plus tranquille, j’en suis certain. Je me fais
mille chimères sur l’amour divin : si je pouvais
le goûter, sûrement elles se dissiperaient ;
car c’est une folie plus forte que moi qui me
pousse à aimer plus que d’amour, et à adorer je
ne sais