bruit leur arrive,
ainsi nos croupes et nos flancs se
sont dressés sous le fouet des tempêtes.
Notre crinière est faite de forêts, la
corne de nos pieds est faite de marbre
blanc ; l’arçon de notre selle et le mors de
notre bouche sont de nuage doré ; notre écume
est un fleuve qui blanchit notre frein ; et nos
naseaux, quand l’aiguillon nous éperonne,
vomissent leur lave dans l’océan. Tous les
dieux, l’un après l’autre, ont passé sur nos
sommets. De leurs trésors nous n’avons gardé,
seigneur, que votre croix pour couvrir notre
cime dans l’orage. Par nos petits sentiers,
nous avons monté jour et nuit pour prendre
dans nos coupes les fleuves et les fontaines.
Chaque soir, nous avons enfermé dans le fond de
nos grottes les brises embaumées et les parfums
d’été que nous recueillions le jour. Pour
vous plaire, chaque hiver, nous avons roulé
sur nos têtes nos neiges entassées ; et nous
avons gémi, au fond de nos volcans, comme un
homme qui s’endort oppressé, dans son lit, sous
le poids de votre nom.
Voix du Mont Blanc.
J’ai mené paître devant moi mes génisses
blanches : les montagnes des Alpes sont mes
blanches génisses ; leurs cornes sont de neige ;
elles secouent sur leurs têtes les nuages
d’hiver, comme une touffe d’herbe fauchée.
Pour taches sur leurs flancs, elles ont trois
forêts de sapins noirs ; leurs mamelles sont
de cristal ; leur queue balaye mon chemin.
En mugissant sous le vent et sous la bise,
elles lavent la corne de leurs pieds dans le
lavoir des lacs. à leurs cous sont pendus des
villes et des villages, des voix de peuples
et des états croulants, comme des clochettes
d’acier fin, pour être entendues de loin dans
le pâturage du seigneur.
Chœur des Alpes.