les clochers byzantins frémissaient et
s’écriaient : kyrie eleison, et les clochetons
répondaient plus bas, en foule, eleison ; et
chaque homme sortait de sa maison et entrait
à l’église ; et le bruit montait jusqu’à moi
sur ses roues de bronze ; ainsi bondissent,
ainsi tressaillent, ainsi bourdonnent les
mondes dans ma campanille d’azur. Pour ma
fête, ils tintent d’aise comme un oiseau qui
bat de l’aile. Si je veux, c’est un glas ; si
j’aime mieux, c’est le baptême d’un nouvel
univers. Sous leurs marteaux d’or, en vibrant,
les soleils mugissent et grondent éternellement.
Pour le jour qui se meurt, les étoiles du soir
ont des plaintes argentines ; celles du matin
ont une aubade et un chant cristallin pour le
jour qui reluit. La terre a un murmure qui
jamais ne s’arrête, ni jour ni nuit ; et
toutes ces voix de mondes font une voix, tous
ces soupirs font un soupir d’airain qui
appelle du néant pour s’agenouiller, pieds nus,
sous ma nef, les jours à venir, les empires
futurs, les espérances à demi nées, et les regrets
qui déjà recommencent.
Il se fait tard ; de mon tertre je vois, comme un
berger, mon troupeau qui rentre dans l’étable.
Sur l’herbe de ma colline, mon taureau, qui a
creusé, tout seul, sous mon aiguillon, le sillon
de mon zodiaque, s’est couché ; et il pense
en ruminant : j’ai fait mon ouvrage. Dès l’aube,
mon bélier a laissé, en marchant à l’aventure,
sa laine floconneuse pendre en vapeur à la haie
du firmament. En bondissant, mon Capricorne, qui
broute la bruyère des nues, frappe déjà du
front le seuil pourpré du lendemain. Dans son
carquois bleu, couleur du temps, mon Sagittaire
a remis sa flèche emplumée ; et là mon Scorpion,
avec ses cent pattes d’étoiles, s’est traîné,
hideux, sur son ventre d’or, dans la ruine du
vieux monde.
Page:Quinet - Œuvres complètes, Tome VIII, 1858.djvu/380
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