Tous.
Oui, Léviathan, tu l’as dit, c’est nous qui
sommes dieux.
L’Océan.
Cherchez, cherchez encore. Soulevez les branches
des forêts ; partagez mieux les eaux des sources.
Creusez loin, plus loin dans le limon. Qui a
fouillé dans cette fente de marbre ? Qui a
secoué le pli de ce nuage ? C’est là qu’il
s’est caché pour vous entendre. Quand vous
êtes venus, je lui parlais. Léviathan, il a un
glaive qui résonne mieux que tes écailles ;
oiseau au bec d’or, il a des ailes plus
larges que les tiennes ; serpent à mille
têtes, il a des morsures plus venimeuses
que celles de ta bouche. Avant le jour, toute
la nuit, il a poussé mes flots devant lui
comme le lion de mer pousse ses lionceaux.
Il m’a réveillé quand tout dormait ; il a
disparu dès que le soleil a lui.
Tous.
Mensonge ! Malédiction sur tes vagues plus vertes
que le venin des vipères. Que les djins
trempent leurs ailes dans ton écume ! Que le
pont Tchinevad s’écroule sur tes eaux !
Mêlons ensemble tous nos cris ; le froissement
des écailles, le battement des ailes, le
frôlement des anneaux. Que l’ongle s’aiguise
sur le tronc, le bec sur la branche, l’ivoire
sur le granit ; que la corne du pied retentisse
sur le sable, la nageoire sur le flot, la
queue autour des flancs. Murmures des feuilles
et des savanes, naseaux brûlants, crinières
bondissantes, cris, sifflement, hurlement,
que le bruit s’enfle et se prolonge. Le roc
branle, l’avalanche s’écroule. Dis-nous,
vieil océan, si sa voix était plus forte
que la nôtre. Les dives tournoient dans les
airs ; le griffon creuse de sa corne la
crête des nuages ; l’éternité met sa
couronne sur le front des lions. La vie
fourmille, la vie bourdonne, la vie ruisselle ;
la croupe bondit, la sueur dégoutte des
naseaux comme la lumière des naseaux du