Page:Quinet - Œuvres complètes, Tome VIII, 1858.djvu/234

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lui, ne respirer que lui, m’y plonger, m’y anéantir vivant ; quitter, pour une voix qui bénit, les mondes qui maudissent. Ah ! Oui, un être obscur, vil aux yeux des hommes, s’il avait seulement une larme pour moi !



Mob.

Ce n’est pas assez. Les sens ne doivent pas être tout à fait sacrifiés, et vous auriez grand tort de ne les compter pour rien.



Ahasvérus.

Défier à ses pieds la colère des mondes !



Mob.

Cependant il faut tout dire ; il y a telles convenances qu’on ne peut enfreindre, tel usage adopté qu’on ne peut changer. On a un rang, un nom, une position à garder, des devoirs de fortune ; puis l’opinion, voyez-vous, veut avant tout être respectée.



Ahasvérus.

Oui, on se quitte ; mille choses vous séparent, la vie, la mort. Mais il y a eu une heure où le secret qui brûle votre sein a dépassé vos lèvres. On ne se reverra plus jamais, non jamais ; mais le monde est rempli ; un instant suffit à embaumer une éternité de siècles.



Mob.

Embaumer, c’est le mot ; mais quoi ? Une momie ? Ne vous l’exagérez donc pas. Tous les sentiments cachent un calcul, et au fond toutes les femmes se ressemblent. Qui dit l’une dit l’autre. Un peu plus tôt, un peu plus tard, la meilleure vous dupera ; d’ailleurs, vous-même, pourvu que vous les amusiez, vous êtes parfaitement quitte envers elles. Elles sont là pour le plaisir des hommes, elles se le tiennent pour dit ; et rien n’est plus facile, vous verrez, que de s’en faire adorer.



Ahasvérus.