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Page:Quingey - Queteuse de frissons, 1928.djvu/43

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sur-Marne. On l’eût cru surchargé d’alcools divers. Et pourtant, l’enquête établit depuis que le charbon de la locomotive n’avait pas été arrosé, même de champagne.

On a incriminé les excursionnistes las du régime sec qui, eux, s’étaient abondamment abreuvés. Et d’aucuns affirment que leurs tremblements avaient fini par se rythmer jusqu’à faire osciller les wagons dans un mouve­ment d’ensemble. Des témoins, qui ont vu passer le convoi, ont déclaré nettement :

— On aurait dit que c’était un train saoûl.

Moi, je ne sais ni ne veux me prononcer. Mais le train dérailla au kilomètre 98, trois mille mètres avant la gare de Château-Thierry. Il était 5 heures du soir.

Heureusement, il n’y eut pas grand mal, au moins pour les personnes.

Sur la voie de gauche qu’elle suivait, car les trains font tout à rebours, la locomotive se coucha, sa cheminée dans le fossé. Chauffeur et mécanicien s’accrochèrent heureusement à temps aux branches d’un arbre qui s’éten­daient par là.

Suivant l’exemple de la machine, les six wagons, qui, eux aussi, étaient manifestement fatigués, s’étendirent à leur tour sur le côté.

Et dans les prés voisins, les vaches ouvrirent des yeux bien plus ronds que de coutume : c’était la première fois qu’elles voyaient se coucher un train. Je vous assure qu’un tel événement fit, sur ces placides bêtes, un formidable effet. Si formidable qu’elles se vautrèrent immédiatement, car comment voulez-vous qu’une vache veille lorsque les trains s’endorment ?

N’allez pas supposer que les excursionnistes yankees eurent à souffrir de l’accident ! Ils avaient suivi (ou pro­voqué) le mouvement oscillant du train qui roulait d’ail­leurs très doucement. Ils se couchèrent avec lui, tout naturellement. Et ils s’endormirent.