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Page:Régnier - Œuvres, éd. Lacour, 1867.djvu/66

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Tout le monde fremit, et ces grands mouvements
Couvent en leurs fureurs de piteux changements.
Pense-tu que le luth, et la lyre des poëtes
S’accorde d’harmonie avecques les trompettes,
Les fiffres, les tambours, le canon et le fer,
Concert extravagant des musiques d’enfer ?
Toute chose a son regne, et dans quelques années,
D’un autre œil nous verons les fieres destinées.
Les plus grands de ton temps dans le sang aguerris,
Comme en Trace seront brutalement nourris,
Qui rudes n’aymeront la lyre de la muse,
Non plus qu’une viéle, ou qu’une cornemuse.
Laisse donc ce mestier, et sage prens le soin
De t’acquerir un art qui te serve au besoin.
Je ne sçay, mon amy, par quelle prescience,
Il eut de nos destins si claire connoissance
Mais, pour moy, je sçay bien que, sans en faire cas,
Je mesprisois son dire, et ne le croyois pas ;
Bien que mon bon démon souvent me dist le mesme.
Mais quand la passion, en nous est si extresme,
Les advertissemens n’ont ny force ny lieu ;
Et l’homme croit à peine aux parolles d’un Dieu.
Ainsi me tançoit-il d’une parolle esmuë.
Mais comme en se tournant je le perdoy de vuë,
Je perdy la mémoire avecques ses discours,
Et resveur m’esgaray tout seul par les destours
Des antres et des bois affreux et solitaires,
Où la Muse, en dormant, m’enseignoit ses misteres,