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Page:Régnier - Œuvres complètes, éd. Viollet le Duc, 1853.djvu/75

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SATYRE I.

Où tout le monde entier ne bruit[1] que tes projects,
Où ta bonté discourt au bien de tes sujects,
Où nostre aise et la paix ta vaillance publie ;
Où le discord esteint, et la loy restablie,
Annoncent ta justice ; où le vice abattu
Semble, en ses pleurs, chanter un hymne à ta vertu[2].
Dans le temple de Delphe, où Phœbus on révere,
Phœbus, roy des chansons, et des muses le pere,
Au plus haut de l’autel se voit un laurier sainct,
Qui sa perruque blonde en guirlandes estraint,
Que nul prestre du temple en jeunesse ne touche,
Ny mesme prédisant ne le masche en la bouche :
Chose permise aux vieux, de sainct zele enflamez,
Qui se sont par service en ce lieu confirmez,
Devots à son mistere, et de qui la poictrine
Est pleine de l’ardeur de sa verve divine.
Par ainsi, tout esprit n’est propre à tout suject :
L’œil foible s’esbloüit en un luisant object.
De tout bois, comme on dit, Mercure on ne façonne[3],
Et toute médecine à tout mal n’est pas bonne.
De mesme le laurier et la palme des roys
N’est un arbre où chacun puisse mettre les doigts ;
Joint que ta vertu passe, en loüange féconde,
Tous les roys qui seront et qui furent au monde.
Il se faut reconnoistre, il se faut essayer,

  1. Bruire est un verbe neutre qui n’a point de régime ; cependant il est employé ici comme actif.
  2. Semble en ses pleurs chanter un hymne à la vertu.] La Rochefoucauld, auteur des Maximes morales, a dit que l’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu. Maxime 223.
  3. Ancien proverbe dont Pythagore est l’inventeur, selon Apulée, dans sa première apologie. Les Latins avoient emprunté ce proverbe : Non è quovis ligno Mercurius fingi potest. Voyez Érasme, dans ses Adages, chil. 2, cent. 5, adag. 47