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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/110

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l’abbaye d’évolayne

cative. Un amant véritable eût refusé d’envisager la mort de la bien-aimée ou nié qu’il pût, l’ayant perdue, revivre. Mais lui ne s’effrayait d’aucune épreuve, certain d’être toujours assisté par celui qui ne peut ni mourir, ni faire défection. Et Adélaïde, amèrement, l’approuvait de ne s’être pas attaché à la créature, car elle comprenait de quel long malheur elle allait payer son amour pour lui. Jamais encore elle ne s’était sentie à ce point blessée. Pour reprendre son équilibre, elle eut recours dans la journée à son remède habituel, la promenade. Sitôt après le déjeuner, elle partit, traversa les bois, déboucha dans une immense plaine presque sans ombrage. Les après-midi de l’arrière-saison, quand ils sont beaux, ont parfois, durant quelques heures, l’ardeur du plein été. Elle marcha longtemps sous un soleil éblouissant, sans autre but que celui d’accroître sa fatigue. Elle rentra au crépuscule, la tête en feu, le corps secoué de frissons et dut s’aliter. Michel la soigna avec sollicitude. Le troisième jour, la fièvre étant tombée, il lui dit :

— Vous pouvez vous lever. Vous avez souffert d’une légère insolation, due à vos folles promenades. Soyez plus sage.

Elle s’était crue mourante, s’étonna qu’il la déclarât guérie. D’où venait donc en elle ce changement, cette vieillesse soudaine, cette indifférence profonde à tout ce qui la touchait autrefois. Des livres demeuraient sur sa table sans qu’elle les ouvrît. La présence de Michel ou son absence ne lui causait ni plaisir, ni peine. Elle ne souhaitait plus rentrer à Paris. Il lui était indifférent d’être ici ou là. Si ce détachement n’était point causé par la maladie, par l’approche de la mort, ne marquait-