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l’abbaye d’évolayne

ses mains, abandonnée à sa direction sûre et sage. Puis elle avait eu l’impression d’une résistance légère mais continue, d’un repliement involontaire. Elle s’était heurtée, en cherchant à provoquer des confidences, à une créature apeurée qui, tout de suite, se réfugiait dans le silence. Et la crise qu’elle redoutait éclatait maintenant, dépassait en gravité toute prévision, prenait les proportions d’un désastre. L’âme qui lui semblait si belle se révélait sans volonté, ni vertu réelle, sans autre force que celle de l’exaltation. Sa pitié, toute d’emportement, manquait de solidité ; la droiture de ses intentions n’avait pas pour appui la fermeté du caractère. Au premier coup de vent, tout l’édifice d’une fragile vertu était tombé en ruines. L’abbesse, sondant au plus profond cette conscience troublée, n’y avait rencontré nulle part la paix. Sous les zones d’angoisse, d’incertitude, de découragement, elle ne trouvait que le vide. Il n’y avait pas un seul château secret de l’esprit où l’image de Dieu régnât sans ombre, où la raison pût s’enfermer pour résister aux impulsions mauvaises.

Le mal, insidieux, avait cheminé, longtemps caché. Et celle dont il ruinait les forces vives ne le découvrait que bien tard, trop tard. En ce moment même, Adélaïde, revivant son passé, s’étonnait aussi d’y découvrir de tels contrastes : une ascension lente, ininterrompue, suivie d’une chute vertigineuse. Pas une fois, durant le temps d’épreuve qui lui avait été imposé dans le monde, loin de Michel, ni durant les cinq années qui précédèrent sa profession solennelle, elle n’avait remis en question le problème de sa vocation. Derrière elle, il