Aller au contenu

Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/153

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
141
l’abbaye d’évolayne

incolore et vague des jours futurs, une heure se détache que toutes les circonstances concourent à rendre exceptionnelle, cette heure culminante, éclipsant pour eux celles qui la précèdent ou qui doivent la suivre leur fait tout oublier. Il suffit qu’il leur soit permis de la vivre pour que la pire douleur leur semble justifiée.

La faveur accordée aux deux époux avait eu des précédents. Et Adélaïde savait depuis longtemps qu’il lui serait permis de revoir Michel prêtre, qu’un jour, une seule fois, elle recevrait la communion de sa main. À l’horizon de sa vie refermée et déserte, cette espérance avait brillé, lumière lointaine, aujourd’hui toute proche. Essentiellement émotive, elle avait toujours recherché l’émotion comme un bonheur. Celle qu’on lui ménageait la comblait en l’apaisant. Elle s’hypnotisa sur la joie promise. L’avenir ne s’étendait pas au delà d’un moment admirable qu’elle éternisait. Ses doutes, ses craintes, ses tourments cessèrent. Il n’y eut plus en elle d’autre sentiment que celui de l’attente.

L’abbesse qui l’observait sans cesse fut surprise par le calme de cette ensorcelée. Elle redoubla de prières pour attirer les bénédictions du ciel sur la dernière réunion des deux époux. Obsédée par un fantôme, éprise d’un être qui n’existait plus que dans son souvenir, Adélaïde pouvait retrouver son équilibre en voyant devant elle, dans sa réalité, le prêtre inaccessible. Dieu pouvait se servir de l’homme trop aimé pour affermir l’âme troublée, mais généreuse qui cherchait le bien sincèrement, dont la passion même restait si noble et qui méritait le repos et la grâce.