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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/166

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l’abbaye d’évolayne

dit-elle tristement, mais je vous engage à réfléchir encore. Avez-vous pensé qu’il nous faudrait bien avertir le père Stéphane de votre départ, qu’il en demanderait les raisons et que vous risquez de détruire son bonheur et sa paix.

— Non, ma mère, je n’en ai même plus le pouvoir. Vous lui direz que je suis malade, incapable de supporter physiquement les rigueurs de la règle, il n’en demandera pas davantage. Il ne reviendra pas sur le passé, ne devinera pas que je me suis, en prenant le voile, sacrifiée à lui. Il m’oubliera très vite. Moi aussi, je veux l’oublier et je n’y parviendrai pas ici où l’atmosphère est toute empoisonnée de sa présence proche, où je retrouve partout le souvenir de ce que j’ai souffert par lui, où rien ne peut m’en distraire. Il me faut me soustraire à l’envoûtement que j’ai subi. J’ai besoin de m’examiner dans la solitude, de chercher librement une autre voie. Ah ! j’ignore vers quel destin je vais, ce que je puis faire. Je ne sais qu’une chose : c’est que ma place n’était point au cloître et que je n’y resterai pas sans vocation.

Elle regarda la mère Hermengarde et soudain lui tendit les bras, avec un affectueux abandon, une grâce caressante :

— Je ne regretterai que vous, ma mère. Vous seule m’avez aimée !…

Trop aimée ! L’abbesse à sa douleur reconnaissait combien, entre toutes ses filles, elle avait chéri celle-ci. Et parce qu’elle se reprochait cette prédilection non permise, elle ne parut pas voir le geste d’appel, se défendit contre l’attrait du beau visage en pleurs. Silencieusement, elle remettait à Dieu l’enfant perdue, s’effaçait, ayant terminé sa