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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/173

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l’abbaye d’évolayne

et si ardent était de celles qui ne peuvent vivre ni mourir. Elle devait éterniser sa souffrance en y résistant.

L’été vint. Touristes, étrangers, baigneurs affluèrent le long des côtes de l’Océan. Pour retrouver la solitude, elle rentra à Paris en pleine chaleur. Son frère étant absent, elle s’installa dans un hôtel à peu près vide. La ville morne, désertée par les trois quarts de sa population, n’offrait aux rares promeneurs que des arbres roussis, des perspectives ravagées par un soleil aveuglant. Adélaïde y vécut oisive derrière des persiennes closes. Sa liberté déjà lui pesait. Sa santé était meilleure. Elle avait dépassé la période enivrante de la convalescence où l’être qui sort de la mort se réaccorde avec la vie et, parce qu’il en a oublié le goût, lui trouve une saveur qu’elle n’a pas en réalité. L’enthousiasme sans raison qui l’avait soutenue, fait d’une sorte de suspension dans la pensée, prit fin. Il lui fallait maintenant commencer à examiner son âme et son destin.

Tout d’abord, elle se remit en présence de ce désastre essentiel : Michel était perdu pour elle, tellement perdu, de façon si irrémédiable qu’elle en vint à envier la douleur des veuves. La mort, en les privant seulement de la présence visible, supprime tous les risques de la mésintelligence et de la trahison. L’époux qu’elles pleurent demeure toujours tel qu’il fut autrefois, toujours fidèle. Elles peuvent choyer en paix cette image immuable. Mais qu’un être aimé qui continue à vivre se sépare de lui-même, nous devienne absolument étranger, voilà la grande catastrophe, le malheur sans consolation. Entre Michel, son mari,