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l’abbaye d’évolayne

Mais un cœur malheureux réfléchit mal la splendeur des choses et ne la comprend pas. Il rejette les raisons savantes qui ne touchent que la raison. Adélaïde discernait mal l’affirmation de la lumière et se laissait envelopper par la négation des ténèbres. Pourquoi d’ailleurs ces deux aspects du monde : d’un côté, l’aurore, l’été, le rayonnement du soleil, l’épanouissement des fleurs, la joie des heureux, la justice et la douceur des saints, la grandeur des génies et des héros ; de l’autre, l’ombre, l’hiver, les bouleversements de l’orage, la plainte des déshérités, l’orgueil des puissants, la guerre, le meurtre, la cruauté des forts envers les faibles ?

De nouveau, elle se heurtait au problème du mal et de la douleur. La parole du poète : L’homme est un Dieu tombé qui se souvient des cieux, apparaissait ainsi qu’une éblouissante vérité. Elle donnait un sens à ce désordre visible sur la terre et qui ne semblait pas primordial, puisque la notion de l’ordre et d’un bien perdu y subsistait, mais expliquait-elle l’universel châtiment appliqué à la bête innocente comme à l’homme coupable et cette loi terrible du massacre qui ne permet à aucune vie de subsister, si ce n’est aux dépens d’une autre vie ?

Adélaïde avait toujours eu le sens de la pitié, qui s’accentuait depuis qu’elle était tombée du rang des créatures heureuses au rang des infortunées. Parce qu’elle souffrait, elle se sentait en communion constante avec l’universelle douleur. Lorsqu’elle marchait dans la nature, elle épiait le drame caché qui se joue sous le plus beau soleil, entre l’araignée et la mouche, le chat et l’oiseau, le chasseur et la proie. Oh ! cette lutte, songeait-elle,