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l’abbaye d’évolayne

grand’peine un plateau couvert de forêts. Là, tandis qu’elle cherchait à s’orienter, l’obscurité s’accrut rapidement, se changea en ténèbres. Il devenait impossible de trouver un point de repère. L’air était frais. Des rafales de vent passaient par moments sur la cime des bois. La pluie tombait alors par masses des hautes branches secouées. Adélaïde avançait les bras en avant, tâtonnant, touchant les arbres qu’elle ne voyait pas. Ses pieds butaient contre les souches saillantes des sapins. Prisonnière de la nuit, elle s’arrêta bientôt, trop lasse pour continuer plus longtemps cette lutte inutile. Ayant rencontré le tronc d’un arbre coupé, elle s’y assit.

Il n’y avait qu’à rester là jusqu’au lendemain, perspective peu agréable. Elle était partie sans autre vêtement qu’une grande écharpe de laine, maintenant saturée d’humidité et dont le contact la faisait frissonner. Ses souliers n’étaient plus qu’une boule de boue gluante, ses bas trempés collaient à ses jambes glacées. Elle n’avait rien mangé depuis midi, elle avait faim et froid. Sa faiblesse physique la portait à prendre au tragique sa situation pénible. Certainement il n’existait sur terre aucun être dont l’abandon fût comparable au sien. Un chien, un cheval, un agneau, n’importe quel animal domestique égaré, eût été cherché par son maître, mais elle, créature humaine, pouvait se perdre au fond des bois, avoir froid, avoir peur sans que personne ici-bas s’en inquiétât. Elle pouvait mourir là, cette nuit. Son corps serait tôt ou tard découvert, mais nul ne saurait, guidé par son seul nom, retrouver la place qu’elle occupait autrefois parmi les vi-