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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/204

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l’abbaye d’évolayne

Mais pour cela il fallait que son cœur fût tout abandonné et que son esprit demeurât froid, lucide, raidi dans l’attention. Il fallait que, d’un seul regard, elle saisît sur le visage de Michel tous les indices de ce qui survivait encore en lui d’amour pour elle. Il fallait qu’elle sût à la fois prendre et donner : prendre cette âme, livrer la sienne. L’avenir dépendait de ce premier regard, de ce premier contact. Il fallait qu’un même effort de confiance, en abolissant les malentendus, la séparation, recréât entre eux l’intimité du mariage. Michel, l’ayant comprise, reprendrait alors sur elle l’ancienne autorité. Il dirait : « Voici les causes du mal, voici le remède, voici ce que vous devez faire, ce que vous devez penser. » Elle n’aurait plus qu’à obéir. La vie redeviendrait facile.

Elle se rendit compte obscurément que le bonheur même de la réunion n’égalerait pas en plénitude ce moment où elle y rêvait. Aussi voulut-elle le prolonger. Le matin venu, au lieu de monter à l’abbaye pour la grand’messe, elle décida de remettre à l’après-midi son entrevue avec Michel. Elle erra donc dans la campagne, fuyant et cherchant l’abbaye tour à tour, car dès qu’elle l’avait perdue de vue quelque temps sous bois, elle se hâtait de gagner un endroit découvert pour apercevoir la haute masse de pierre. Elle la contemplait un peu comme un visage. Elle songeait que Michel vivait là, que peut-être il priait pour elle à cette heure. Elle se réjouissait avec un peu de malice qu’il fût encore, ignorant son retour, dans l’incertitude à son sujet, alors qu’elle était si heureuse.

Sitôt après le déjeuner, elle monta dans sa chambre, commença ses préparatifs. Et, tout