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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/209

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l’abbaye d’évolayne

l’ait même pas désiré ? Se peut-il qu’en ma présence il n’évoque point notre ancien bonheur ? L’homme aux pensées définitives oublie-t-il vraiment ce à quoi il renonce ?

Le regret déchirant du passé, le charme amer du présent l’absorbaient si fort qu’elle ne souhaitait pas que Michel parlât. Mais lui qui connaissait les dangers du silence ne voulait pas la laisser se perdre en des rêveries dangereuses pour tous deux. Il reprit avec autorité :

— Vous êtes bien coupable envers moi, Adé ! Comment avez-vous pu me laisser ainsi sans aucune nouvelle ? La mort ne nous eût pas mieux séparés que votre volonté féroce ; je ne vous aurais pas cru capable d’une telle cruauté.

Ce reproche audacieux, alors qu’il avait tant de torts envers elle, lui fut doux, elle aima son injustice, car le fait qu’il lui exprimait ses griefs prouvait qu’il se croyait encore des droits sur elle.

— J’ai pensé, dit-elle en s’excusant, qu’il valait mieux ne pas troubler votre œuvre.

— Mon œuvre est de donner ma joie aux autres et avant tout à l’âme dont je réponds devant Dieu.

— Vous êtes donc heureux ?

— On l’est toujours quand on a trouvé sa voie. Mais si quelque chose avait pu détruire cette paix inconcevable que notre Maître nous accorde dès que nous nous sommes donnés à lui, c’est la pensée que vous ne la partagiez pas. Je ne me résignais pas à poursuivre ma route sans que vous me suiviez. Que de prières j’ai jetées pour vous vers le ciel. Pas un instant votre souvenir ne me quittait. Dans l’action, la méditation, à l’autel, j’avais toujours dans le cœur une question restée si long-