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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/217

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l’abbaye d’évolayne

je me serais séparée de vous moralement. Il m’aurait fallu anéantir le passé, frapper en moi votre image, renoncer à cette heure même qui m’est donnée aujourd’hui. Cela, je ne le pouvais pas.

Alors, de nouveau, il la regarda et son âme fut comme une maison fermée durant un long hiver dont toutes les fenêtres s’ouvrent une à une au grand soleil printanier. Pourtant ce n’était là, elle le savait, qu’un soulagement passager, illusoire. Sa douleur n’était point guérie. Elle s’efforça de ne point perdre de vue ces ténèbres d’où elle sortait, où elle allait retomber :

— Ayez pitié, dit-elle, car il y a si peu de temps encore, j’étais tellement dans l’abîme, tellement perdue…

Il interrogea avec un accent d’attentive sollicitude :

— Pourquoi donc êtes-vous revenue ?

— Le sais-je ? Parce que je souffrais trop, parce qu’à force de retourner sans cesse les mêmes questions, les mêmes idées, je ne comprenais plus rien, parce que j’ai pensé que vous m’aideriez peut-être.

— Parce que vous avez espéré, avouez-le, reprit-il triomphant ; parce qu’en vous, comme en tout être menacé, le danger a fait naître le désir du secours et Dieu vous a poussée vers moi qui vous appelais. Je terminais ce matin même une neuvaine — la troisième depuis votre départ — pour que vous me fussiez rendue. Jugez de mon saisissement quand, tout à l’heure, le frère portier m’apporta votre lettre. N’est-ce pas une chose merveilleuse cette réponse du ciel et la divine Providence n’éclate-t-elle point ici de façon manifeste ?