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l’abbaye d’évolayne

m’aura pas donné raison. Elle a jeté bas tout ce bel édifice du progrès auquel j’apportais, confiant, ma petite pierre.

Il soupira et reprit après un moment :

— Malgré tout, il est beau d’avoir eu, jeune, de grandes espérances. Celles de Darbaud n’étaient pas de ce monde, mais je les respectais comme il respectait les miennes. C’est pourquoi nous nous aimions. Je lui dois beaucoup. Son intelligence aiguë, subtile, un peu dogmatique, imposait à la mienne, trop curieuse, certaines disciplines nécessaires. Il m’a obligé à ne vivre que pour les idées, à un âge où les passions peuvent nous faire tomber si bas. Déjà, certain de sa vocation, il prenait volontiers avec nous des airs de jeune père. Mais il nous dominait surtout par une sorte d’innocence, de candeur inattaquable qu’aucun de nos camarades n’osait railler. Sa vertu d’ailleurs n’avait rien de sévère. Il ne condamnait pas, ne réprimandait pas. Il se contentait d’être un exemple et de nous résister, quand nous voulions l’entraîner dans un mauvais lieu, ou lui faire lire un mauvais livre. Les tentations n’avaient pas de prise sur lui. Tout ce qui était immoral lui semblait ennuyeux. Il écoutait avec une surprise sans nom le récit de nos premières amours. Il fallait l’entendre parler des femmes, lever les bras au ciel, s’écrier : « Mais qu’est-ce qu’un homme sérieux peut faire de ces légers paquets de chiffons ? »

La remarque parut tout d’abord plaisante à Adélaïde, puis l’attrista, comme si Michel, en la répétant, avait fait sienne la réflexion du religieux.

— Que sommes-nous en effet pour vous ? soupira-t-elle.