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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/240

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l’abbaye d’évolayne

le croire. Il la convaincrait peut-être que le mieux était de rentrer au cloître, il obtiendrait son assentiment, puis il la renverrait définitivement. Le grand danger pour elle était de se laisser anesthésier, ravir comme la veille par une chère présence. Il fallait qu’elle fût devant son mari ce qu’elle était loin de lui : la même créature désaxée, la même âme en peine. Elle devait se défier de lui, ne point le regarder, l’écouter à peine. Il fallait qu’elle parlât, mais non point avec le lyrisme de la nuit, car les emportements, les éclats tragiques n’ont pas d’action sur l’homme heureux, ne lui inspirent qu’un mépris condescendant.

L’heure du rendez-vous avait sonné. Michel était en retard. Adélaïde ne s’en plaignait pas encore. L’attente lui permettait de se tracer une ligne de conduite, afin que rien dans cette entrevue qui devait, croyait-elle, la perdre ou la sauver ne fût livré au hasard. Mais le manque de sommeil lui enlevait une partie de sa lucidité. Par moments ses yeux se fermaient. Elle étendait le bras sur le dossier du banc, y appuyait sa tête lasse où la pensée battait douloureusement. Puis elle se reprenait, ordonnait ses phrases une à une. Elle devait exposer simplement, nettement l’erreur du passé, l’inutilité du sacrifice dont Dieu n’était pas le but, le désastre qu’entraînait cette erreur, la prédominance obstinée en elle de l’amour humain et la certitude où elle était de ne plus pouvoir vivre loin de Michel. Pour finir elle prendrait dans son sac le flacon d’atropine qu’elle avait apporté. Il faudrait alors que, se levant, elle s’écartât de son mari. Et elle répétait les rôles que la nuit lui avait inspirés :