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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/241

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l’abbaye d’évolayne

— Regardez bien, Michel, Voici la mort, là en ma possession. Voici la dernière amie qui me reste, mon seul refuge si vous, me repoussez… J’ai fait mon choix, faites le vôtre. Tout est simple, tout est clair : ou la vie près de vous, ou, sans vous, la mort. Et ce Dieu auquel vous croyez vous demandera compte de mon âme.

Elle n’était plus si sûre de la victoire. Elle comprenait que le premier soin de Michel serait de lui arracher le poison. Il y parviendrait aisément, étant plus fort qu’elle. La lutte serait brève et se terminerait par son triomphe. Alors, l’ayant sauvée à sa manière, de la mort seulement, peut-être réagirait-il contre son émotion. Peut-être lui ferait-il l’injure de croire à quelque odieux chantage, à une comédie jouée simplement pour l’attendrir. Comment pourrait-elle le convaincre qu’au moment même où elle s’était munie de ce poison, elle n’avait pas prévu qu’il l’empêcherait de le boire, imaginé le geste sauveur. Elle se décourageait. L’épreuve dont elle attendait le salut n’aboutirait qu’à un échec, le drame où elle se débattait se continuerait sans aucun dénouement.

Brusquement sa méditation s’interrompit. Elle venait d’apercevoir, franchissant la porte de clôture, deux hommes dont l’un portait la robe monacale : Michel. Elle se leva aussitôt avec un grand élan. La vie tout de même était douce. Elle sentit soudain sur ses mains, sur sa joue la chaleur du soleil. Les chants d’oiseaux, l’azur cessèrent d’être une offense à son malheur, devinrent des choses rassurantes comme le sourire d’un père. Sa fatigue était dissipée. Son sang tout à l’heure