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l’abbaye d’évolayne

adressée la veille. Il regardait autour de lui, semblait chercher quelqu’un. Reconnaissant Adélaïde, il se dirigea vers elle :

— Pardon, madame, je pensais trouver ici le père Stéphane. Quelqu’un le demande au parloir.

Elle répondit :

— Il est à la gare avec un jeune homme. Il va revenir.

Et, plus bas, d’un ton presque suppliant, elle ajouta :

— Je l’attends depuis longtemps.

Mais qu’importait au frère son impatience ou le droit qu’elle avait de passer la première. Il s’inclina :

— Merci, madame. Je vais voir si j’aperçois le père dans le sentier. J’ai une lettre à lui remettre. C’est urgent, m’a-t-on dit.

Adélaïde perdit tout espoir. Son imagination malade dénaturait déjà l’incident pour en tirer une amertume de plus. Quelqu’un réclamait Michel avec insistance, et elle n’hésitait pas à croire qu’il la sacrifierait encore à un étranger. Cette pensée lui fut intolérable. Elle ne voulait pas remettre au lendemain l’entrevue désirée. Il fallait que son sort se décidât ce matin même ou jamais. Elle n’avait plus assez de force pour franchir l’espace d’une nuit et si elle ne pouvait retenir Michel que par la mort…

Mais la mort effraye ceux-là même qu’elle fascine. À son inconnu redoutable le malheur familier semble encore préférable. Il faut pour qu’un être en arrive à détruire sa propre existence que le paroxysme fiévreux de l’amour, l’obsession