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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/251

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l’abbaye d’évolayne

des images, l’emprise sur lui du présent et du provisoire l’empêche d’imaginer cette éternité vers laquelle il se précipite, ne sachant ce qu’il fait. Le suicide est rarement un acte raisonné, mais plutôt une tentative qui laisse subsister des chances de vie. C’est ainsi qu’Adélaïde l’envisagea soudain. Qui sait ? Le flacon qu’elle avait dans son sac contenait peut-être une dose de poison trop faible ou trop forte. En risquant la mort, elle allait peut-être lui échapper. Ah ! que Michel sût seulement qu’elle était capable de se tuer pour lui, qu’il la vît malade, avec ce poison en elle, et s’il la sauvait il faudrait bien qu’il la sauvât tout entière, corps et âme. Jamais plus il n’oserait l’abandonner. Le péril qu’elle aurait couru les rendrait enfin l’un à l’autre. Cette chance unique lui voilait le péril où elle s’aventurait.

Tandis qu’elle délibérait ainsi, Michel remontait rapidement le sentier. Il s’était attardé à la gare plus longtemps qu’il ne l’avait prévu, le train ayant eu du retard. Il se trouvait coupable envers Adélaïde. Il sentait combien cette longue attente devait lui paraître cruelle. Il se hâtait, il courait pour ne pas abréger la courte demi-heure qu’il pouvait lui consacrer. En haut du chemin, devant la porte de clôture, le portier de l’abbaye l’arrêta lui remit la lettre dont il prit connaissance et qui, bien que pressante, ne changea rien à ses résolutions. Il griffonna au verso de l’enveloppe sa réponse, donnant un rendez-vous pour l’après-midi. Puis il fit quelque pas avec le frère convers, le priant d’écarter ce matin-là tout visiteur. Adélaïde qui suivait de loin ce colloque l’interprétait à sa façon. Certainement Michel lui préférait encore