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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/254

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l’abbaye d’évolayne

temps qu’il devait lui donner. Il ne s’étonna donc point de la trouver muette, hostile.

— Excusez-moi, Adé, dit-il doucement. Dans notre ministère, nous ne pouvons disposer à l’avance de nos loisirs. Mille devoirs imprévus s’imposent…

Qu’était-ce que ce vain murmure, alors qu’elle écoutait sourdre, jaillir, monter en elle les eaux bouillonnantes de la mort ? L’âme déjà à demi noyée se débattait lugubrement.

— Me voici enfin tout à vous, reprit Michel. D’ailleurs, depuis hier, votre pensée ne m’a pas quitté. Je voudrais vous persuader, comme j’en suis certain moi-même, que ces ombres où vous êtes se dissiperont bientôt. Priez seulement.

Elle se taisait. Si elle avait osé prier, elle n’eût imploré à cette heure que le seul salut de sa chair ; mais, criminelle, elle ne pouvait demander un miracle. L’espoir qui l’avait leurrée, lui donnant la force d’accomplir l’acte irréparable, s’était évanoui. Elle ne doutait plus d’avoir absorbé une dose mortelle. Encore quelque temps, elle sentirait la morsure physique du poison. Et puis ce serait la diminution de ses facultés, la perte de la conscience, l’agonie, le cercueil, la tombe. La pression de la peur lui fit ouvrir les yeux. Ah ! comme l’arbre le plus proche lui parut soudain lointain, inaccessible. Elle n’eût osé toucher ses feuilles fraîches, passer la main sur son écorce. Elle n’avait plus sur les objets environnants ces droits que nous confère la vie. Elle ne faisait plus corps avec l’univers. Elle était à l’écart, exclue. L’immense paysage reculait, bougeait sous son regard, comme aperçu dans une fuite. Le retrait de la mort commençait.