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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/255

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l’abbaye d’évolayne

Quelqu’un la tirait en arrière, hors de ce monde où elle avait vécu. Les choses, les êtres, par elle abandonnés, l’abandonnaient, Michel cependant disait :

— Je viens encore d’assister à une prodigieuse opération de la grâce et j’en ai été merveilleusement apaisé dans mon angoisse pour vous. Ce jeune homme que vous avez vu tout à l’heure avec moi est l’un de mes fils spirituels que je croyais perdu. Des passions violentes l’avaient égaré. Il reniait Dieu. Par bonheur, il m’aimait encore. Je le décidai à venir faire une retraite parmi nous L’effet fut foudroyant. Il repart entièrement changé, tellement affermi que la vie religieuse seule l’attire et que je suis certain, après un temps d’épreuve, de le voir revenir à Évolayne pour s’y fixer à jamais. Adé, puissé-je entendre de vous bientôt des paroles semblables à celles qu’il m’a dites en me quittant. Dieu se sert parfois de ses plus humbles prêtres pour opérer des transformations splendides. Ce sont là les douceurs de notre rude tâche.

Elle se redressa et, se tournant vers lui, considéra avec une animosité subite ce vivant. Car tout en lui vivait : le corps, l’âme ; le corps dans la plénitude de la santé, l’âme dans la plénitude de la force et de la certitude. Elle eut horreur de son inébranlable paix, désira la lui arracher. Lasse de souffrir seule, elle voulait qu’il entrât lui aussi dans les ombres où elle était. D’une voix sourde, vibrante où l’accent du sarcasme se mêlait à celui du reproche, elle interrogea :

— Combien d’âmes avez-vous donc sauvées ? Il répondit humblement :