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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/263

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l’abbaye d’évolayne

Sans répondre elle l’écarta d’un geste brusque et, s’abattant sur le fauteuil auprès de la fenêtre, elle regarda au dehors le paysage où la lumière de midi ne laissait aucune ombre.

— Quitter cela, murmura-t-elle, comme se parlant à elle-même, quitter cela n’est pas facile. Comment ne pas craindre ces ténèbres, ce froid de la mort ? Si j’étais un arbre, un brin d’herbe, un animal j’aimerais vivre, mais être une femme, quel sort ! Espérer, attendre, toujours, toujours en vain, à travers ces jours déserts, ces nuits hallucinées, non, je ne le peux plus ! Car que faire ? Où aller ? J’ai été chassée de partout. Ah ! vous dites vivre pour vous !…

Elle s’interrompit et, se tournant à demi vers Michel, se mit à rire d’un rire ironique, bref et triste.

— Vivre pour vous ! répéta-t-elle, ce fut longtemps mon seul but ici-bas, mais j’ai vu que le mariage vous semblait une chaîne, je l’ai brisée et voici que je vous délivre tout à fait en mourant. Votre pitié ne saurait me suffire du moment que votre bonheur n’est pas en moi.

Ce n’était pas seulement parce qu’il cherchait à lui dire les paroles qu’elle attendait, mais parce qu’il n’imaginait plus pouvoir vivre s’il ne sauvait cette vie et cette âme qu’il affirma :

— Mon bonheur est en vous.

— Ce n’est pas vrai ! s’écria-t-elle avec éclat, non, ce n’est pas vrai, car je vous appartenais aussi complètement qu’un objet ou une pièce d’or et vous avez renoncé joyeusement à ce pauvre trésor. Beaucoup vous ont admiré alors, beaucoup ont loué votre sacrifice et pourtant ne croyez-vous pas…