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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/266

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l’abbaye d’évolayne

— Je n’ai pas de haine contre vous, Michel, dit-elle, oh ! ne le croyez pas. Je ne voulais pas vous faire tant de peine. C’est cette fièvre de la vie qui m’égare encore, mais elle va bientôt cesser et souvenez-vous que je vous ai tout pardonné depuis longtemps. Vous n’avez pas de reproche à vous faire, je me suis moi-même détruite. Vous ne pouviez comprendre ce que je tentais pour vous, ni prévoir que je ne pourrais m’en consoler. Toutes les femmes oublient et tous les hommes, toutes les plaies se guérissent avec le temps. Un amour comme le mien est une chose bien rare. Et voyez comme il fut inutile, à quel échec il aboutit. Comment ai-je pu, ne cherchant que vous, n’imaginant le bonheur qu’avec vous, vous perdre ainsi, car je vous ai bien perdu, Michel, sur cette terre et au delà.

Le moine tressaillit imperceptiblement. Depuis qu’il s’était enfermé dans la chambre avec Adélaïde, pas un instant il n’avait perdu de vue son salut à la fois temporel et spirituel. Il s’étonnait qu’aucun des médecins qu’il avait appelés ni le messager envoyé à Dinant ne fussent encore là. Il mesurait avec angoisse la fuite du temps et son impuissance. Il veillait sur un corps en danger, sur une âme à demi détruite par le péché et tremblait pour l’un et pour l’autre. Mais voici que l’âme semblait se réveiller. Prise encore sous les rets du mal, elle palpitait peureusement, essayait un faible battement d’ailes. Il pouvait peut-être maintenant agir sur elle, la ramener par degré à la vie de la grâce. Il dit, détachant chaque mot, lentement, afin qu’elle en comprît bien le sens et l’intention :